V
« Le duc Charles ? s’étonna Cendres. Je le croyais souffrant.
— C’est le cas. Vous n’aurez permission de le voir que brièvement. La vue de tant de monde épuiserait notre noble duc ; par conséquent, vous ne pouvez pas amener votre suite. Un homme d’armes, peut-être, si vous tenez à conserver un garde du corps auprès de vous. » La bouche ridée de Ternant sourit. « Comme je le sais, à mon grand dam, un chevalier se doit d’avoir un entourage, si petit soit-il. »
Cendres, suivant le regard du chambellan-conseiller en direction de Lannoy et de son escorte d’un unique archer, hocha la tête en sympathie. « Tout à fait. Robert, Angeli, prenez ma place ici. Thomas Rochester, tu viens avec moi. » Elle fit signe au page, avant que ses officiers puissent réagir autrement que par un hochement de tête d’obéissance. « Conduisez-moi. »
Enfin !
À la suite du jeune Jean, Cendres porta automatiquement la main à son fourreau, pour immobiliser l’épée d’Anselm. L’éventualité d’un assassinat était faible ; néanmoins, elle continua d’ouvrir l’œil tandis qu’ils traversaient les rues jusqu’au palais, grimaçant au fracas des bombardements, dans le côté ouest de la ville ; ils empruntèrent et franchirent des passages aux murs blancs creusés dans les profondeurs de la pierre et gravirent des escaliers où des vitraux chamarrés déversaient une lumière pâle sur le sol. Cendres remarqua dans le palais moins de gardes bourguignons que lors de sa première visite, en été.
« Peut-être qu’il est mort, patronne, hasarda soudain Thomas Rochester.
— Qui ça, le duc ?
— Non, l’autre connard… votre mari. »
À l’instant précis où Rochester disait cela, elle reconnut la salle voûtée qu’ils traversaient. Des bannières étaient encore accrochées aux murs, bien que la lumière affaiblie produise moins de reflets de vitraux sur les dalles.
Le ka’id Sancho Lebrija accompagne la croisade, sans aucun doute, la bannière d’Agnus Dei flotte devant ces remparts, mais Fernando ? Dieu et le Christ Vert savent où se trouve Fernando, maintenant… ou même s’il est encore en vie.
C’est ici qu’elle l’avait touché pour la dernière fois – ses doigts chauds noués à ceux de l’homme. Où elle l’avait frappé. À Carthage, plus tard, il était aussi faible, aussi manipulé, qu’il l’était ici. Jusqu’aux derniers instants avant le séisme.
Mais il pouvait se permettre de parler en ma faveur : nul n’allait se soucier d’un chevalier germanique félon en disgrâce !
« J’ai décidé de partir du principe que j’étais veuve », déclara-t-elle sur un ton sombre, et elle suivit Jean le page et le chambellan-conseiller Philippe Ternant tandis qu’ils entamaient l’ascension de l’escalier d’une tour.
Le chambellan-conseiller leur fit passer l’obstacle de multiples sentinelles bourguignonnes, jusqu’à une chambre aux hautes voûtes, encombrée de toutes sortes de gens : des écuyers, des pages, des gardes, de riches nobles en cotte et chaperon, des femmes portant des coiffes de religieuses, un fauconnier avec son rapace, une chienne et une portée de chiots dans la paille près du grand âtre.
« Voici la chambre de maladie du duc, annonça Philippe Ternant à Cendres, en traversant la foule. Attendez ici : il vous fera approcher quand il le souhaitera. »
À voix basse, Thomas Rochester commenta à l’oreille de Cendres : « J’ai pas l’impression que le conseil de siège soit autre chose qu’une mascarade pour tenir les civils calmes, patronne.
— Tu crois que le vrai pouvoir se trouve ici ? » Cendres parcourut des yeux la chambre ducale bondée. « Possible. »
Il y avait assez d’hommes en harnois complet présents, affichant leur livrée, pour qu’elle puisse identifier la noblesse militaire marquante de Bourgogne – tous ceux qui avaient survécu à Auxonne, pouvait-on présumer – et tous les principaux mercenaires, à l’exception de Cola de Monforte et de ses deux fils.
« Le départ de Monforte a pu tenir à des raisons politiques, et non strictement militaires », murmura-t-elle.
Le front de l’Anglais brun se plissa sous sa visière, puis son visage s’éclaira. « Je commençais à me dire qu’on était foutus, patronne, à force d’écouter ce conseil. Mais si les capitaines sont encore ici…
— Alors, ils ont peut-être encore une chance de leur flanquer la pâtée. » Cendres acheva le fil de la pensée du chevalier anglais. « Thomas, je sais que tu vas couvrir mes arrières de près, ici.
— Oui, patronne. » Thomas Rochester semblait ragaillardi par la confiance qu’elle lui manifestait.
« Non que je m’attende à me faire poignarder en plein milieu de la chambre de maladie du duc… » Cendres recula automatiquement alors qu’une sœur viridienne passait avec une cuvette. Des bandages couverts de vieux sang et de crasse remplissaient le bassin de cuivre.
« Tiens ! Ce ne serait pas ma patiente ? » s’exclama l’imposante femme.
Les robes vertes et la cornette étroite des sœurs continuaient à crisper Cendres. Surprise par cette salutation bourrue, elle se retrouva en train de lever les yeux vers le large visage de la sœur maîtresse du couvent des filles de pénitence –, de les lever, et les lever encore, plus haut qu’elle ne l’avait imaginé quand on la soignait : la sœur possédait une taille immense, en plus d’une solide carrure.
« Sœur Siméon ! » Cendres esquissa une génuflexion qui méritait à peine ce nom, mais accompagnée d’un sourire lumineux qui compensa amplement. « J’ai vu qu’ils avaient saccagé le couvent – heureuse que vous ayez atteint la ville.
— Comment va votre tête ? »
Légèrement impressionnée par la mémoire de la religieuse, Cendres exécuta une révérence avec nettement plus de respect. « Je survivrai, ma sœur. Ce n’est pas grâce aux Wisigoths, qui ont tenté de réduire à néant vos bons offices. Mais je survivrai.
— Je suis heureuse de l’entendre. » La sœur maîtresse s’adressa sur le même ton à quelqu’un placé derrière Cendres. « D’autres linges, et encore un prêtre, et que ça saute. »
Une autre bonne sœur s’inclina brièvement. « Oui, sœur maîtresse ! »
Cendres, qui essayait de distinguer le visage de la petite nonne, fut surprise d’entendre la sœur Siméon déclarer sur un ton pensif : « Je souhaiterais visiter vos quartiers, capitaine. Une de mes filles a disparu, ce soir. Votre… chirurgien, Florian… pourrait, je crois, m’être utile. »
La petite Marguerite Schmidt, songea Cendres. Je parierais là-dessus. Bordel de merde.
« Depuis combien de temps votre sœur a-t-elle disparu, ma sœur ?
— Depuis hier soir. »
C’est bien un coup de Florian…
Son sourire intérieur s’effaça. Elle eut conscience d’un soulagement inconfortable. Après ce qu’elle m’a raconté…, il est plus prudent qu’elle se trouve avec quelqu’un d’autre.
« Je mènerai mon enquête. » Cendres croisa fugacement le regard bleu de Thomas Rochester. « Nous sommes des soldats sous contrat, ma sœur. Si votre religieuse a signé un contrat avec le train des équipages… eh bien. L’affaire s’arrête là. Nous veillons sur les nôtres. »
Elle observa le chevalier anglais plus que la sœur maîtresse, en quête de la moindre grimace. Si l’idée de soustraire la maîtresse de la chirurgienne à un couvent troublait Thomas Rochester, il n’en laissa rien paraître.
Il ignore sans doute que Marguerite Schmidt n’est pas la seule femme ici qui attire Florian…
« Je vous verrai plus tard », s’écria la sœur Siméon, d’un ton trop résolu pour que Cendres distingue si c’était une menace ou une promesse ferme, avant que la solide femme s’éloigne à grands pas à travers la foule qui s’écarta devant elle.
« Et celle-là, on peut pas l’engager, patronne ? plaisanta Thomas Rochester. Je préférerais l’avoir, plutôt qu’une donzelle qui plaît à notre chirurgien ! Collez la sœur maîtresse sur la ligne de combat, à côté de moi, et je me planquerai derrière elle ! Elle foutrait une sacrée trouille aux enturbannés, c’est sûr. »
Le page Jean, apparaissant à hauteur de Cendres, retira son chapeau et bredouilla : « Le duc vous fait mander ! »
Cendres suivit le jeune garçon à travers la presse, saisissant au passage les conversations des nombreux membres de guildes et de marchands présents en train de débattre d’affaires civiles, et ne leur accordant que l’attention suffisante pour juger de leur moral. Un important groupe d’hommes en armure à l’air assuré la croisa, venu de l’autre bout de la salle, avec leurs aides qui portaient des plans ; Cendres traversa le groupe et se retrouva face au duc de Bourgogne.
Ici, les murs étaient de pierre pâle, des icônes de saints serties dans des niches, des chandelles votives allumées devant elles ; et un grand lit à baldaquin occupait toute cette extrémité de la salle, entre deux fenêtres bouchées par du verre plombé clair.
Le duc n’occupait pas l’immense lit.
Il reposait, sur la gauche, dans un lit coffre presque identique à ceux que Cendres avait pu voir sur le champ de bataille dont seules quelques gravures de saint anoblissaient l’apparence. Des braseros entouraient le lit. Deux prêtres s’écartèrent à l’approche de Cendres, du page et du garde du corps, et le duc Charles leur indiqua de s’éloigner, d’un geste impérieux.
« Nous discuterons en privé, ordonna-t-il. Capitaine Cendres, il est bon de vous voir enfin rentrée de Carthage.
— C’est aussi mon avis, Messire duc. J’ai arpenté la Chrétienté de long en large comme un chien en foire. »
Aucun sourire n’éclaira le visage du duc. Elle avait oublié qu’il n’était sensible ni à l’humour ni à la séduction. Puisqu’il s’agissait de la part de Cendres d’une remarque purement réflexe, énoncée seulement pour masquer le choc qu’elle ressentait à le voir, elle ne perdit pas de temps à regretter ses paroles ; elle garda le silence, en essayant de ne pas laisser ses sentiments paraître sur son visage.
Des coussins gardaient le duc redressé sur son côté gauche, sur la couchette dure. Livres et papiers l’encerclaient, et un clerc était agenouillé près de lui, qui remettait précipitamment en ordre ce qui était, Cendres le constata, des plans des défenses de la ville. Une robe de chambre d’un riche velours bleu couvrait en même temps Charles de Bourgogne et le lit ; par-dessous, Cendres put voir qu’il portait une chemise en drap fin.
Ses cheveux noirs étaient plaqués, emmêlés par la sueur, contre son crâne. Cette extrémité de la chambre ducale empestait telle une chambre de malade. Tandis que le souffrant levait les yeux pour regarder Cendres en face, celle-ci nota sa peau jaunâtre et ses yeux exorbités et fiévreux, le contour de ses pommettes qui se détachaient désormais sur son visage, ses joues creuses. Sa main gauche, refermée sur la croix qui pendait à son cou, était d’une effrayante maigreur.
Elle pensa, avec une grande froideur : La Bourgogne est foutue.
Comme s’il ne souffrait pas – mais à voir la sueur qui coulait de façon continue sur son visage, il devait souffrir –, le duc Charles ordonna : « Messieurs les prêtres, vous pouvez vous retirer ; vous aussi, ma sœur. Garde, faites dégager cette extrémité de la chambre. »
Le page Jean s’écarta avec le reste. Cendres jeta un coup d’œil indécis à Thomas Rochester. Elle nota que le garde du corps du duc, un colosse à la carrure d’archer, vêtu d’un jaque rembourré, ne quittait pas son poste auprès du duc.
« Renvoyez votre homme, capitaine », demanda Charles.
La question de Cendres dut paraître sur son visage. Le duc jeta un coup d’œil rapide vers l’archer, qui le dominait de toute sa taille.
« Je vous crois femme d’honneur, dit-il, mais si un homme devait m’approcher avec un stylet dans la manche et s’il n’y avait d’autre moyen de l’arrêter, Paul ici présent s’interposerait entre moi et une telle arme, et recevrait le coup dans son propre corps. Je ne puis sans faillir à l’honneur écarter un homme prêt à agir de la sorte.
— Thomas, retire-toi. »
Cendres resta en place, attendant.
« Nous avons beaucoup à nous dire. Mais d’abord, allez à cette fenêtre, demanda le duc en indiquant une des deux fenêtres en verre de la chambre, et dites-moi ce que vous voyez. »
Cendres franchit la courte distance en une ou deux enjambées. Les petits carreaux de verre épais déformaient la vue au-dessous, mais elle distingua qu’elle regardait vers le sud, sous un ciel changeant, qui virait au gris ; des nuages couraient sous un vent rude qui secouait la fenêtre dans son encadrement.
Apparemment, vu la hauteur, je me trouve, en ce moment, dans la tour Philippe le Bon, le célèbre point d’observation du palais.
Ça ne se présente foutrement pas mieux, vu d’en haut…
Le vent harcelait les barrières d’osier qui entouraient des rangées de catapultes. En plissant les yeux, Cendres arriva à discerner les silhouettes rassemblées autour des poutres étendues des trébuchets : de longues files humaines faisaient passer des rochers vers les engins, et, sur la route inondée d’Auxonne, des bœufs chargés tiraient des chariots remplis de pierres de carrière.
« Je peux voir jusqu’au confluent de l’Ouche et du Suzon, au-delà des remparts… », dit-elle, assez fort pour que le malade l’entende, « … et le camp des machines de siège ennemies à l’ouest. La rivière a monté : il y a encore moins de chance de la passer pour mener un assaut contre ces engins.
— Que voyez-vous de leurs forces ? »
Par réflexe, elle leva la main afin d’abriter ses yeux, comme si le vent qui secouait la fenêtre ne se trouvait pas à l’extérieur. Le soleil – quelque part aux environs de la quatrième heure du matin[41] – se limitait à une lueur grise tout juste visible, bas dans le ciel au sud.
« Une inhabituelle quantité de canons, pour des Wisigoths, Messire duc. Des sirènes, des serpentines, des bombardes et des basilics. J’ai entendu des mortiers, alors que nous arrivions. Peut-être concentrent-ils toutes leurs armes à poudre avec ces légions ? Plus de trois cents engins : pierrières, mangonneaux et trébuchets – oh, merde. »
Une grande tour commença sous ses yeux à avancer en roulant, en direction du bastion où le pont le plus méridional sur la rivière avait été abattu. Un fragment de soleil échappé se refléta sur ses flancs rouges.
Un beffroi conformé comme un dragon, avec une gueule en bouteille – elle aperçut le museau d’un basilic qui dépassait entre ses dents –, mais sans peausseries arrosées pour le protéger des flèches enflammées.
Un castel-de-fust monté sur roues, haut de huit mètres environ.
« Christus Imperator… »
Aucun esclave ne poussait le beffroi de l’avant vers le bord de la rivière.
En fait, il roulait de lui-même, sur des roues en pierre cerclées de bronze, hautes comme deux hommes, qui s’enfonçaient profondément dans la boue. Tandis qu’il approchait, Cendres put tout juste distinguer une équipe d’artilleurs wisigoths à l’intérieur de la tête sculptée de la tour, en train d’écouvillonner et de charger leur canon avec fureur.
Le carreau de la fenêtre déforma une agitation sur les remparts de la ville. Avec le sentiment d’être coupée d’eux, Cendres observa des hommes qui couraient, des arbalètes qu’on tendait, qu’on bandait ; des viretons d’acier filèrent dans le vent glacé, tout cela en silence, vu de la tour du duc. La détonation et l’impact d’une sirène wisigothe lui parvinrent, étouffés, ainsi que le piaulement des fragments de plâtre qui jaillissaient du mur du bastion.
Les équipes d’arbalètes se pressaient sur les remparts de la ville. L’angoisse aiguisa la vue de Cendres. Des livrées au Lion ? Non !
Une épaisse nuée de carreaux tambourina contre les flancs de la tour-dragon de pierre, forçant ses occupants à se tapir plus profond à l’intérieur pour s’abriter.
L’estomac tordu, elle observa. Le castel-de-fust tangua. Une roue mordit plus profond dans la boue, s’enlisant jusqu’au moyeu. Une foule d’esclaves carthaginois, poussés hors du camp de la légion à coups de fouet, commencèrent à jeter à terre des piquets de barrière et des planches sous la grande roue de pierre pour qu’elle s’agrippe, et tombèrent l’un après l’autre sous un barrage soutenu de viretons en provenance des remparts de la ville. Sous les yeux de Cendres, ils s’enfuirent en courant du beffroi de siège, le laissant désemparé, lui et son équipage.
De toute évidence, la Faris est partisane de maintenir la pression.
« Si je devais trouver des mots pour… pour qualifier les beffrois golems… », déclara-t-elle, sans détourner les yeux, son ton situé quelque part entre stupeur et humour noir, « … je crois que je les qualifierais d’artillerie automobile… »
La voix du duc de Bourgogne se fit entendre derrière elle. « Ils sont de pierre et de marne de rivière, ainsi que les golems mobiles. Le feu fend leur pierre. Pas les balles d’arquebuse. Le canon a brisé leur corps. La Faris possède dix beffrois ; nous en avons immobilisé trois. Allez à la fenêtre nord, capitaine Cendres. »
Cette fois-ci, sachant ce qu’elle devait chercher, Cendres eut plus de facilités à essuyer la buée des carreaux et du plomb et à distinguer les détails des forces assiégeantes sises au nord. Là, elle vit le grand camp déployé entre les deux cours d’eau – les douves face aux remparts septentrionaux de Dijon à demi emplies de fagots de bois ; des carcasses de chevaux en train de pourrir, ponctuant le no man’s land de terrain exposé.
Il lui fallut un moment pour le distinguer entre les tentes, les pavois, les barricades et les hommes qui faisaient la queue devant des tentes des cantines. Un éclat de lumière du soleil, au sud, attira son attention, en se reflétant sur un engin de bronze et de marbre plus long que trois charrois.
« Ils ont un bélier… »
Un pilier de marbre aussi épais qu’un corps de cheval, gainé de bronze, était suspendu entre des poteaux sur un grand charroi à roues de pierre. Des hommes n’auraient pas pu faire se balancer la masse de ce bélier, ni pousser l’engin jusqu’aux portes, mais si les roues pouvaient tourner d’elles-mêmes, si la puissante tête gainée de métal pouvait percuter les madriers et le pont-levis de la porte nord de Dijon…
« S’il frappe trop fort, il va voler en éclats. » Cendres se retourna pour faire face au duc. « Voilà pourquoi ils emploient leurs golems ordinaires comme messagers, et non pour le combat, Votre Altesse. Les carreaux ou les balles leur arrachent des éclats de pierre. Ce bélier, s’il percute trop fort, y brisera son argile et son marbre. Ensuite, ce ne sera plus qu’une masse de roc, en dépit de tout ce dont les amirs sont capables. »
Tandis qu’elle revenait se placer devant le lit austère du duc, l’homme déclara avec autorité : « Vous n’avez pas vu le plus dangereux de leurs engins – et vous ne le verrez pas. Ils possèdent des golems fouisseurs, qui creusent des sapes en direction des remparts de Dijon.
— Oui, Votre Altesse, Anselm, mon capitaine, m’a parlé d’eux.
— Mes magistri ingeniatores se sont employés à les contrer. Mais ces engins conçus par les savants-mages n’ont besoin ni de sommeil ni de repos, ils creusent jour et nuit. »
Cendres ne répondit rien à cela, mais ne put pas complètement dissimuler son expression.
« Dijon tiendra. »
Elle ne put retenir le scepticisme soudain sur son visage. Elle s’attendit à de la colère de la part du duc. Il ne dit rien. Une soudaine poussée de peur poussa Cendres à aboyer : « Je n’ai pas fait traverser à ces hommes la moitié de l’enfer simplement pour les faire tuer sur vos remparts ! »
Il ne sembla pas s’en offenser. « Comme c’est intéressant. Ce n’est pas ce que je m’attendais à entendre de la part d’un commandant de mercenaires. Je m’attendrais, comme j’ai entendu Cola de Monforte le dire en partant, à ce que vous disiez que la guerre est bonne, excellente pour les affaires, et peu importe combien d’hommes se font tuer, il y en aura deux fois plus qui se rueront pour prendre leur place, dans une compagnie qui réussit. Vous parlez en seigneur féodal, comme s’il y avait en jeu des loyautés mutuelles. »
Prise à contre-pied, Cendres chercha ses mots. Elle réussit enfin à dire : « Je suis préparée à voir mourir mes hommes. C’est le métier. Je ne suis pas préparée à gaspiller des ressources, Votre Altesse. »
Elle fixa les yeux avec obstination sur le visage du duc, se refusant à reconnaître, même un bref instant, la crainte qui la taraudait.
« Comment se décomposent vos hommes ? demanda le duc. De quels pays viennent-ils ? »
Cendres croisa les mains devant elle pour réprimer le tremblement soudain de ses doigts. Elle passa les effectifs en revue dans sa tête : la neutralité réconfortante des noms inscrits sur du papier, qu’on lui lisait. « Pour la plupart, anglais, gallois, germaniques et italiens, Votre Altesse. Quelques Français, deux équipes d’artilleurs suisses ; le reste, Dieu seul sait. »
Elle ne demanda pas pourquoi mais la question était claire dans son expression.
« Vous aviez quelques-uns de mes Flamands ?
— J’ai divisé la compagnie, avant Auxonne. Ces Flamands se trouvent là-bas, dehors, avec la Faris, Votre Altesse. Les ordres, ajouta-t-elle, ne vont que jusqu’à un certain point. Van Mander présentait des risques. Je veux que mes hommes se battent parce qu’ils le veulent, et non parce qu’ils le doivent.
— Moi de même », confirma le duc avec force.
Se sentant prise au piège des mots, Cendres développa la nécessaire conclusion. « Ici à Dijon, voulez-vous dire. »
Le visage du duc se contracta. Il ne laissa paraître aucun autre signe de douleur. Un instant, il chercha des yeux un page pour essuyer la transpiration de sa figure : comme ils avaient été congédiés, il se passa la manche sur la bouche, et leva ses yeux sombres pour regarder Cendres avec une autorité résolue.
« Je vous montre d’abord le pire. L’ennemi. Bien. Vos hommes constitueront un cinquième, ou un sixième, de mes troupes ici. » Un brusque mouvement de la tête en direction de ses capitaines, plus loin dans la chambre. « J’ai l’intention de vous inclure dans mon conseil, capitaine, puisque vous formez une partie appréciable des défenses. Même si je ne suivrai pas toujours vos avis, je les écouterai cependant. »
C’est le respect dont il témoignerait envers un capitaine masculin.
Elle répondit d’une voix calme et totalement neutre : « Oui, Votre Altesse.
— Mais en ce cas, vous direz que vous et vos hommes ne combattez néanmoins que parce que vous le devez. Parce que vous devez vous battre pour manger. »
Oh, tu es habile, toi. Cendres affronta le regard vif, acéré. Il n’avait pas tant d’années de plus qu’elle, une décennie, peut-être[42]. Des lignes entamaient la peau sur les côtés de sa bouche, posées là à la fois par l’autorité et, plus récemment, supputa-t-elle, par la douleur.
« Votre Altesse, je suis une mercenaire. Si j’estime que mes hommes doivent se retirer, nous le ferons. Ce combat n’est pas le nôtre. »
Charles déclara : « En conséquence, j’ai l’intention de vous proposer un contrat.
— Je ne puis l’accepter. » Elle secoua la tête, la réponse fusant.
« Pourquoi pas ? »
Cendres lança un coup d’œil vers l’archer massif derrière le duc, se demanda un instant jusqu’à quel point l’homme savait tenir sa bouche close, puis haussa mentalement les épaules. Le moulin à rumeurs aura fait circuler ça dans toute la ville avant sexte[43], quoi que je dise.
« Première chose… j’ai signé de mon nom un contrat avec le comte d’Oxford, répondit Cendres avec mesure. Il est mon employeur en ce moment. Si je savais avec certitude où il se trouve, Votre Altesse, je me sentirais tenue soit de prendre ses ordres, soit de rassembler la compagnie et de partir le rejoindre. En l’état actuel des choses, je n’ai pas la moindre idée de sa localisation, ni même s’il est en vie – de Carthage au Bosphore, le chemin est bougrement long, par les temps qui courent, à travers la guerre et l’hiver glacé, et qui sait de quelle humeur est le sultan ? Je supputerais que messire d’Oxford a une meilleure idée de l’endroit où je me trouve, moi. Il peut me contacter ici. Peut-être pas. »
Rien de ce qu’elle venait de dire ne sembla causer de surprise au duc. Au moins, il est raisonnablement intelligent.
« Je me demandais ce que vous finiriez par me dire quand je vous demanderais de vous engager. »
Moi aussi.
Elle prit conscience que le battement de son cœur s’accélérait.
« Je vous ai préservée des mains wisigothes, capitaine, l’été dernier. » Charles se pencha en avant dans le lit, comme si son dos le faisait souffrir. « Vous ne ressentez aucune obligation envers moi ?
— À titre personnel, peut-être. » Disant cela, indécise, elle décida d’en rester là. « Nous parlons d’affaires. En dépit de ce qui a pu se passer à Bâle, je ne romps pas mes contrats, Votre Altesse. John de Vere est mon employeur.
— Il est peut-être perdu. Emprisonné. Ou mort depuis de longues semaines. Asseyez-vous. » Le duc fit un signe du doigt.
Un tabouret trépied se dressait pas très loin du lit ducal. Cendres s’assit, avec précaution, équilibrant son poids dans sa brigandine, regrettant de ne pouvoir se retourner pour voir la tête des gens. Ce n’est pas n’importe qui qu’on invite à s’asseoir en présence du duc.
« Oui, Votre Altesse ?
— Vous doutez de mes compétences en tant que commandant, à présent », déclara Charles.
C’était une déclaration franche, sans hésitation sur ce fait embarrassant, et cependant prononcée avec une certaine assurance. Cendres, surprise, ne trouva rien à répondre qui ne lui attirerait pas d’ennuis. C’est vrai. C’est mon avis.
« Votre Altesse est blessée, finit-elle par dire.
— Blessé, mais point mort. Je commande toujours mes officiers et capitaines. Je continuerai à le faire. Si je tombe, La Marche ou mon épouse, qui commande dans le Nord, sont tous deux parfaitement en mesure d’affronter l’armée des envahisseurs et de faire lever le siège. »
Cendres ne laissa paraître aucun doute dans sa voix. « Oui, Votre Altesse.
— Je veux que vous vous battiez pour moi. Non parce que des villes et des bourgs ont été détruits, que là-bas, à l’horizon, les Ténèbres se referment sur nous, et que vous n’avez nulle part où aller. Je veux que vous vous battiez pour moi parce que vous avez confiance en moi pour vous commander, et triompher. »
Il continua à soutenir son regard, alors qu’elle était assise devant lui. La voix du duc se fit plus basse :
« Lorsque je vous ai une première fois ordonné de vous présenter devant moi, l’été dernier, vous vous inquiétiez que vos hommes puissent ne pas vous suivre, après votre blessure à Bâle. Je crois que vous vous êtes demandé, plus tard, s’ils vous auraient sauvée à Auxonne – si cette blessure, et leurs doutes sur votre compte, ne les avait pas retenus. Par la suite, quand vos hommes sont allés à Carthage, ce n’était pas pour vous, mais pour le Golem de pierre. Vous vous inquiétez encore partiellement de leur loyauté, même si vous n’exprimez pas vos inquiétudes. » Charles eut un petit sourire. « Ou vous aurais-je mal interprétée, capitaine Cendres ?
— Merde. » Cendres le considéra d’un regard sans expression.
« Je suis sur le champ de bataille depuis que je suis enfant. Je sais lire le cœur des hommes. » Le sourire du duc s’effaça. « Et des femmes, aussi. La guerre ignore cette distinction. »
Comment est-ce que tu peux savoir à quoi je pensais, bordel ?
Cendres secoua la tête, sans s’en apercevoir – moins une dénégation qu’un refoulement de ces pensées en elle-même.
« Vous avez raison, Votre Altesse. C’est exactement ce que j’ai pensé. Jusqu’à aujourd’hui. À présent… je viens juste d’avoir une démonstration de… loyauté, je suppose. C’est encore plus difficile à affronter. »
Le duc l’étudia un long moment.
« Vous pouvez signer avec moi un contrat qui laisse De Vere votre maître, déclara-t-il, abruptement. Si des ordres de lui vous parviennent, ou si vous apprenez où il se trouve, vous et vos hommes sont libres d’aller. Jusque-là, restez ici, combattez pour moi. Quand vous aurez accepté, je vous ferai nourrir en même temps que mes hommes, ce qui vaut plus que monnaie dans cette cité, à présent ; et vous et vos hommes aurez votre mot à dire dans la défense de la place. Quant au reste… »
Charles s’interrompit à nouveau. Cette fois-ci, c’était clairement à cause de la douleur. Une des sœurs en robe verte se rapprocha, jetant à Cendres un regard noir, de colère indéniable. Cendres se remit debout, les muscles endoloris par les efforts de la nuit précédente.
« Votre Altesse, je vais me retirer jusqu’à ce que vous vous sentiez mieux.
— Vous vous retirerez quand vous recevrez congé.
— À vos ordres », répondit Cendres, dans un souffle.
Son regard jaugea l’homme, tandis qu’elle se tenait devant lui : une femme en cotte et haut-de-chausses d’homme, avec son propre garde du corps qui tenait son baudrier et ses armes à six pas de là.
Quelle que soit la blessure qu’il avait reçue à Auxonne, elle le faisait encore souffrir. Elle détourna les yeux de son visage jaunâtre, distraite par son geste quand il fit signe à la bonne sœur de s’éloigner. Il avait la main droite maculée, à la première phalange du médius, d’une encre noire au brou de noix.
Il continue à rédiger ordres et ordonnances, en dépit de son état de santé.
C’est bon signe.
De plus, il respectera probablement sa parole, si on peut en juger par le passé.
C’est meilleur signe encore.
Ce n’est pas un John de Vere. Par contre, ce n’est assurément pas un Frédéric de Habsbourg.
Elle garda le silence, mettant Charles d’un côté en balance avec le comte soldat anglais, de l’autre avec la sagacité politique du monarque du Saint Empire romain, découvrant sans grande surprise que – même avec son manque d’humour et ses grâces sociales plus réduites encore – c’était le soldat en lui qui la mettait en confiance, plutôt que le duc.
Il y a six mille hommes et trois cents engins là dehors, minimum. Face au vague espoir d’une force de soutien venue des Flandres. Et à la minute où ce type va s’effondrer, la ville tombera.
Et pour ennemis, il affronte plus que des hommes.
« Suivez-moi et faites-moi confiance », lui dit Charles. Il parlait avec une confiance brusque, embarrassée, mais une confiance qui n’en était pas moins totale. En regardant cet homme, même sur un lit de malade, Cendres découvrit qu’elle ne pouvait l’imaginer vaincu.
Mort, certes, mais pas vaincu. C’est bien. S’ils ont autant confiance, nous pourrions régler tout ça avant que sa mort n’entre en ligne de compte.
« Vous pensez que vous allez gagner, Votre Altesse ?
— J’ai conquis Paris, et la Lorraine. » Il parlait sans forfanterie. « Mon armée, ici, quoique très réduite, est mieux équipée, et composée de meilleurs éléments que les Wisigoths. J’ai une autre armée à moi dans le Nord, sous les ordres de Marguerite, à Bruges. Elle descendra bientôt au sud. Oui, capitaine, nous allons vaincre. »
Que tu vainques ou pas, pour l’instant, je ne peux pas nourrir mes hommes sans toi.
Elle soutint son regard sombre. « Sous conditions, je peux signer une condotta qui se limite à ce que vous venez de dire, Votre Altesse. » Et puis, avec un sourire irrépressible qui perçait, né du soulagement d’avoir pris une décision, et peu importe si elle était temporaire : « Je suppose que nous sommes avec vous, pour le moment !
— Je me réjouis du crédit que vous me faites. Je vais vous poser des questions auxquelles vous ne répondrez que si vous avez confiance en moi, capitaine. »
Il fit un geste. Elle se rassit. Il changea de position sur le lit dur, une grimace de douleur déformant ses traits. Un des prêtres fit un mouvement vers l’avant. Charles de Bourgogne le renvoya d’un signe.
« Dijon est en péril, parce que son duc est ici, ajouta-t-il pensivement. Cette croisade gothique a résolu de conquérir la Bourgogne, et ils savent qu’ils n’y parviendront pas, sinon par ma mort. En conséquence, la tempête s’abat à l’endroit où je me trouve.
— Un aimant pour le feu », commenta distraitement Cendres. Devant le regard perplexe du duc, elle ajouta : « Comme un aimant attire le fer, Votre Altesse. La guerre vous suit, où que vous alliez.
— Oui. Un terme utile. Un aimant pour le feu.
— Je l’ai appris par ma voix. »
Elle posa ses coudes sur ses cuisses, s’appuyant sur le tabouret, et lui jeta un coup d’œil qui disait Dissèque-moi donc ça ! de façon aussi éloquente que si elle l’avait dit à haute voix. Voyons donc l’étendue de ton intelligence !
Il fit mine de reposer les épaules contre le traversin, et s’interrompit. Aucune douleur ne transparut sur son visage, mais des gouttes de sueur visibles roulèrent sur ses joues pâles et rasées, trempèrent les cheveux noirs taillés droit qui reposaient en travers de son front. Avec la maladie et les traits, le nez et les lèvres des Valois, il composait à certains égards un jeune homme singulièrement laid, songea Cendres.
Comme si cela ne lui coûtait rien, le duc se déplaça pour adopter une position assise.
« Vos hommes s’inquiètent que vous ne vouliez plus consulter la machina rei militaris, dit-il. On raconte…
— Mes hommes ? Depuis quand savez-vous ce que racontent mes hommes ? »
Il fronça les sourcils devant cette interruption brutale.
« Si vous souhaitez être traitée avec respect, conduisez-vous en commandant. On me fait des rapports sur les rumeurs, les conversations de taverne. Vous êtes beaucoup trop connue pour qu’on ne se livre pas à des spéculations sur votre compte, capitaine Cendres. »
Quelque peu décontenancée, Cendres répondit : « Pardonnez-moi, Votre Altesse. »
Il inclina doucement la tête. « Je partage, à un certain degré, leurs inquiétudes, capitaine. Il me semble que, même si cette machina rei militaris est un instrument des Wisigoths, il n’est rien qui vous empêche de la consulter, voire de découvrir leurs tactiques et leurs plans, également. Le savoir ferait paraître plus nombreux nos effectifs. Nous saurions où et quand frapper. »
Son regard noir la défiait.
Cendres posa ses paumes à plat sur ses cuisses, baissant les yeux vers ses gantelets.
« Vous voyez les Ténèbres quand vous regardez l’horizon, Votre Altesse. Voulez-vous savoir ce que j’y vois ? » Elle redressa la tête. « Je vois des pyramides, Votre Altesse. De l’autre côté de la mer médiane. Je vois le désert, et la lumière, et les Machines sauvages. Ce sont elles que j’entendrais, si je parlais au Golem de pierre. Et elles m’entendraient. Et alors, je serais morte. » Sans se soucier du manque d’humour du duc, Cendres ajouta : « Vous n’êtes pas le seul aimant pour le feu à Dijon, Votre Altesse. »
Il ignora sa boutade. « Ces Machines sauvages ne sont-elles pas seulement d’autres engins wisigoths ? Réfléchissez. Vous pourriez faire erreur.
— Non. Elles ne sont rien qu’ait fabriqué un seigneur amir.
— Se peut-il qu’elles aient été anéanties lors du séisme qui a détruit Carthage ?
— Non. Elles sont toujours là. Les enturbannés les prennent pour un signe ! » Cendres, morose, vit que ses mains s’étaient serrées en poings, sans qu’elle en ait eu l’intention. Elle déplia les doigts. « Seigneur duc, mettez-vous dans ma position. J’entends une machine tactique wisigothe. Par accident. Et ce que j’entends est en lui-même un fantoche. Ce n’est pas le roi-calife qui a voulu la guerre contre la Bourgogne, Votre Altesse. Ce n’est pas le seigneur amir Léofric qui a voulu créer la Faris pour parler avec le Golem de pierre. C’est une guerre des Machines sauvages. »
Charles hocha distraitement la tête. « Pourtant, maintenant que votre sœur connaît votre présence ici, elle va transmettre la nouvelle à la machina rei militaris. Et donc, ces plus grandes machines vont… intercepter… le fait que vous vous trouvez à Dijon. Peut-être possèdent-elles déjà cette information. »
Une ardente traînée de feu se tordit dans le ventre de Cendres à cette pensée.
« Je le sais, Messire.
— Vous êtes des miens pour l’heure, commandant, déclara avec fermeté Charles de Bourgogne. Parlez à votre voix. Apprenons ce que nous pourrons, pendant que nous le pouvons. Si jamais les Wisigoths trouvent moyen de vous empêcher d’écouter la machina rei militaris, nous aurons perdu un avantage.
— À condition que la Faris y ait toujours recours… Ce ne sont pas mes affaires ! Mes affaires consistent à commander mes hommes sur le champ de bataille !
— Que ce ne soit pas vos affaires, soit, mais c’est votre responsabilité. » Le duc se pencha en avant, ses yeux noirs lourds de fièvre. De façon très délibérée, il ajouta : « Vous avez rendu visite à votre sœur, sous couvert de parlementer, afin d’en discuter. Elle voudra des réponses, comme vous-même. Et elle peut agir librement pour les chercher. »
Il soutint son regard.
« Vous dites que cette guerre est celle des Machines sauvages. Vous êtes, vous, la seule chose dont je dispose pour m’aider à découvrir la nature de ces Machines, et la raison pour laquelle je suis en guerre. »
Le corps de Charles se déplaça sur le lit dur ; et il supporta davantage son poids sur son bras gauche, sans plus s’appuyer en arrière.
« Nous n’avons pas de Faris, dit-il, mais nous vous avons, vous. Et nous n’avons guère de temps à perdre. Je ne laisserai pas la Bourgogne tomber par les craintes d’une femme. »
Cendres regarda d’un côté à l’autre. Les murailles de pierre blanche du palais réfléchissaient la lumière grise du jour. La chambre semblait soudain étouffante. Dijon est un piège, à plus d’un égard !
Des pages s’activaient à verser du vin à la ronde parmi les hommes derrière elle, près de l’âtre. Elle entendit le jappement aigu d’un des chiots, qui cherchait sa mère, et le bourdonnement pressant des conversations.
« Laissez-moi vous dire une chose, Votre Altesse. » L’envie de mentir, de dissimuler, d’affabuler, menaçait de la submerger. « Vous avez commis la pire erreur de votre vie avant Auxonne. »
L’indignation face à l’affront passa sur le visage du duc, disparue presque avant que Cendres ait pu la noter. Charles de Bourgogne déclara : « Vous ne mâchez pas vos mots. Exposez-moi votre raison de dire cela.
— Il y en a deux. » Cendres les décompta sur les doigts de son gantelet : « Premièrement, vous n’avez pas financé le départ de ma compagnie pour le sud avec Oxford, avant Auxonne. Si vous aviez soutenu le raid contre Carthage, voilà des mois que nous aurions pu éliminer le Golem de pierre. Deuxièmement, quand vous avez enfin permis au comte d’attaquer Carthage, vous avez conservé ici la moitié de ma compagnie. Si nous avions disposé de davantage d’hommes, nous aurions pu forcer la maison Léofric – au prix de fortes pertes, mais nous aurions pu y parvenir. Et nous aurions brisé le Golem de pierre en mille morceaux.
— Quand milord Oxford est parti en Afrique, je lui ai cédé tous les combattants que je pouvais. Les autres, j’en avais besoin pour défendre les remparts de Dijon. Je vous l’accorde, un raid en force, au préalable, aurait sans doute été préférable. Rétrospectivement, j’ai commis une erreur de jugement. »
Ah, la vache ! songea Cendres, en considérant avec un respect nouveau cet homme sur son lit de malade.
La voix de Charles de Bourgogne poursuivit sur un ton égal : « Priver la Faris de l’usage de la machine rei militaris, à la fois l’aurait affaiblie, puisque je crois qu’elle en dépend, et, en frappant au moral, aurait affaibli ses hommes. Je ne suis pas sûr, toutefois, que cette erreur soit la pire de ma vie… Qui sait ce que l’avenir nous réserve ? »
Elle croisa ses yeux brillant de fièvre, détectant un léger – très léger – éclat d’humour. Derrière elle, elle entendit bouger. Le duc de Bourgogne fit un geste qui ne s’adressait pas à elle, mais à ses pages, qui tirèrent en arrière les nobles en armes impatients de parler avec le duc.
« J’ai eu les Machines sauvages dans la tête, dit-elle en le regardant sans baisser les yeux. Pas vous. Elles tonnent plus fort que Dieu, Votre Altesse. Elles m’ont forcée à tourner les talons et à marcher à leur rencontre… »
Il interrompit : « Une possession par des démons ? Je vous ai connue brave sur le champ de bataille, mais, certes, tout homme craindrait cela. »
Puisqu’il semblait n’avoir pas remarqué ce tout homme, Cendres laissa passer. Elle se pencha en avant, parlant d’une voix intense.
« Ce sont des machines, des pierres qui vivent ; les peuples anciens les ont d’abord créées, je crois, et ensuite, elles se sont développées d’elles-mêmes. » Elle soutint le regard du duc. « Je le sais, Votre Altesse. Je les ai écoutées. Je… je crois que je les ai contraintes à me le dire, tout cela en une seconde. Sans doute ne s’attendaient-elles pas à ça, ne s’attendaient-elles pas à moi. Après cela, j’ai fui ; j’ai fui Carthage, et le désert, et j’ai continué à fuir. Et j’aimerais que ce fut tout… »
Elle tendit la main vers le pommeau de son épée, se souvint que celle-ci se trouvait entre les mains de Rochester, plus loin dans la chambre, et elle joignit de nouveau ses doigts avec force pour les empêcher de trembler. Elle ne put, l’espace d’un instant, que tenter de maîtriser son souffle rapide, court.
« S’il n’y avait pas eu ma compagnie, je ne serais pas à Dijon, je fuirais encore ! »
Avec confiance, il tendit le bras pour serrer les mains de Cendres entre les siennes. « Vous êtes ici, et vous combattrez en toutes façons que vous pourrez. Même si cela signifie qu’il faut parler à la machina rei militaris pour moi. »
Elle retira ses mains, désemparée. « Quand j’ai dit que ne pas la détruire avait été la pire erreur de votre vie, j’étais sincère. Les Machines sauvages ont pu parler à Gondebaud parce que c’était un thaumaturge, un prophète miraculeux. Et ensuite… Votre Altesse, elles ont ensuite passé des siècles dans le silence, jusqu’à ce que le frère Roger Bacon fabrique une Tête d’airain à Carthage et que la maison Léofric construise le Golem de pierre. »
Le duc la fixait. Plus loin, dans la salle, un faucon capuchonné poussa un cri : bref, aigu, douloureux. Comme si cela le galvanisait, le duc dit : « Elles parlent à travers la machina rei militaris.
— Et seulement à travers elle.
— Vous en êtes certaine ?
— Tel est le savoir des Machines, il ne vient pas de moi. » Cendres passa une main pour s’essuyer le visage, chaud de transpiration, mais n’écarta pas son tabouret du brasero à charbon de bois. « Je crois qu’elles ont en quelque sorte besoin d’un truchement pour nous parler, Votre Altesse. Il ne naît pas plus d’une ou deux personnes comme le Christ Vert ou le prophète Gondebaud par millénaire. Les Machines sauvages ont besoin des fabrications de Bacon, ou de Léofric ; sinon, elles sont muettes. Elles manipulent secrètement le Golem de pierre depuis qu’il a été créé. Si elles avaient eu un autre moyen de manipuler l’Empire wisigoth, elles l’auraient employé, depuis le temps ! »
En le regardant, elle surprit sur le visage du duc une expression de douleur qui n’avait rien à voir avec une blessure.
« Qu’auraient-elles eu, à présent, dit-elle avec amertume, si j’avais pu détruire le Golem de pierre l’été dernier ? Rien ! Elles sont en pierre. Elles ne peuvent ni bouger, ni s’exprimer. Elles peuvent commander à la terre de trembler, mais seulement à Carthage. » Des souvenirs de pans de mur en train de s’écrouler envahirent son esprit : elle les chassa aussitôt. « Si j’avais réussi à l’éliminer, nous aurions été en sécurité ! La paix régnerait, désormais. L’Empire wisigoth s’est trop déployé, ils ont besoin de consolider leurs conquêtes. C’est uniquement parce que ce foutu Golem de pierre n’arrête pas de leur répéter qu’ils doivent prendre la Bourgogne qu’ils poursuivent leur campagne ! Et le Golem de pierre se borne à relayer les paroles des Machines sauvages.
— Alors, nous devons voir si nous ne pouvons pas mettre sur pied un nouveau raid, déclara Charles de Bourgogne. Avec plus de réussite. »
Dans la chambre ducale surchauffée, assise auprès d’un homme blessé, Cendres se retrouva subitement, malgré elle, envahie par l’espoir.
« Sans déconner ? Elles sont probablement en train d’intriguer afin d’obtenir une sacrée garde autour de la maison Léofric, en ce moment…
— Nous pourrions réussir. » Charles fronça les sourcils, ignora la grossièreté de Cendres, pour ruminer. « Je ne puis dégarnir les défenses, ici. Si les ordres pouvaient parvenir dans le Nord, dans les Flandres, et à l’armée de mon épouse, elle pourrait dépêcher une force importante par la mer Étroite. Et vers le sud, le long de la côte ibère. Vous discuterez avec mes capitaines. Peut-être, maintenant, alors que les Goths sont trop déployés, et avant que Carthage ne retrouve ses défenses… »
Une émotion inattendue toucha Cendres. Elle l’identifia comme la perception d’une possibilité. Y parviendrions-nous ? Revenir à Carthage, détruire les lieux ? Si nous le pouvions… Oh, si nous le pouvions ! Bon Dieu, je savais qu’il devait y avoir une raison pour que les Bourguignons suivent cet homme !
Prenant instantanément des décisions, comme les batailles lui avaient appris à le faire, Cendres déclara : « Considérez que j’en serai.
— Très bien. Il importe d’autant plus, à présent, que vous parliez à la machina rei militaris, capitaine Cendres. Et quand vous entendrez ces Machines sauvages, que vous me rapportiez ce qu’elles préparent. »
Toute son espérance s’évanouit dans une vague de peur.
Impossible d’y échapper ; impossible de ne pas lui dire…
Je peux essayer de ne pas le faire.
« Votre Altesse, que va-t-il se passer quand elles m’entendront, elles ? Je risque d’être contrôlée… » Elle surprit l’expression du duc. « Vous l’avez dit vous-même, n’importe qui aurait peur ! Vous priez, Votre Altesse, mais vous n’aimeriez pas avoir la voix de Dieu dans le crâne, je vous le promets.
— Ces Machines sauvages ne sont pas Dieu. » Sa voix était douce. « Dieu leur permet d’exister, pendant un temps. Nous devons nous charger d’elles selon nos moyens. Avec courage. »
À la façon dont il la regarda, elle se dit que Charles de Bourgogne avait peut-être des doutes sur la piété de son interlocutrice.
« Mais je sais ce qu’elles préparent ! protesta-t-elle. Faites-moi confiance, il n’est pas besoin de poser la question deux fois ! Tout ce que je les ai entendu dire à Carthage, c’était : Il faut détruire la Bourgogne !
— Burgundia delenda est…
— Oui. Pourquoi ? » Sa voix semblait tonitruante, criarde, brutale. « Pourquoi, Votre Altesse ? La Bourgogne est riche – du moins, l’était – et puissante, mais là n’est pas la raison. La France et les provinces germaniques ont eu la permission de se rendre. Qu’y a-t-il donc de si important en Bourgogne pour qu’elles veuillent la raser dans son entièreté, pour pisser ensuite sur les cendres ? »
Le duc se reprit, manifestant une présence considérable, en dépit de son lit de malade. Il la fixa avec intensité.
« Je ne puis vous donner aucune raison de leur désir de voir la Bourgogne détruite. »
Son ambiguïté était patente.
Sans bien savoir si c’était de la confiance ou de la résignation qu’elle ressentait, Cendres se contenta de le regarder.
« Détruisez ce lien, dit Charles, et nous n’aurons plus à affronter que l’Empire wisigoth sur le champ de bataille. Cela, je crois que nous en sommes capables. Nous avons reçu des coups plus durs que ceux-ci, et sommes revenus victorieux. Ainsi donc, vous devez écouter pour moi, maîtresse capitaine, si nous devons lancer une nouvelle tentative contre l’Afrique. Appelez à vous vos voix. »
Emportée par les mots du duc, elle revint à elle avec un choc aussi glacé qu’une eau de source. Elle se redressa sur son tabouret.
« Votre Altesse, je ne pense pas que je vous serai de beaucoup d’utilité. »
Cendres détourna son regard du visage du duc. Elle déclara d’une voix maîtrisée :
« La dernière fois que j’ai… écouté à l’endroit où se trouve ma voix, j’ai entendu la voix de mon prêtre, le père Maximillian. C’était hier. Godfrey Maximillian est mort, à Carthage, il y a deux mois. »
Charles l’observa, sans jugement ni condamnation sur son visage.
Elle protesta : « Si vous pensez que je suis le jouet d’illusions, votre Altesse, vous ne croirez pas qu’on puisse se fier à aucune des voix que j’entends !
— Des illusions. » Charles, duc de Bourgogne, tendit la main vers les papiers épars qui l’entouraient et en prit un, avec effort. Tout en le lisant, il dit : « Oui, voilà comment vous voyez les choses, capitaine Cendres. Vous ne parlez pas de démons, ni de tentation par le diable. Vous n’envisagez même pas que ce père Maximillian pourrait se trouver auprès des saints, qu’au-delà de sa perte ceci soit la réponse à votre chagrin !
— Si c’est bel et bien Godfrey… » Cendres serra le poing. « Oui, c’est Godfrey. La Faris l’entend, elle aussi. Un prêtre hérétique, a-t-elle dit. Si nous deux… Je crois, quand il est mort, là-bas, tandis qu’elles faisaient trembler la terre, que son âme est entrée dans la machine – il est prisonnier, son âme est captive dans la machina rei militaris. Et ce qui reste de lui – et non l’homme entier – est là-bas à la merci du dépeçage des Machines sauvages… »
Le duc tendit la main pour lui serrer le bras.
« Vous ne pleurez pas facilement, ni bien. »
Cendres serra les lèvres. « Vous avez perdu des hommes sous vos ordres, vous savez donc comment cela se passe, Votre Altesse. On continue avec ceux qui restent.
— La guerre vous a rendue dure, mais point forte. »
Le ton de sa voix n’était pas une condamnation, mais de la compassion. La poigne sur le bras de Cendres ne ressemblait pas à celle d’un malade. Elle frémit. Charles la libéra.
« Capitaine Cendres, j’ai noté ici sur ce papier que je me suis entretenu avec votre père Maximillian, quelques jours avant la bataille d’Auxonne. Il est venu me voir pour obtenir un sauf-conduit afin de traverser ces terres, et une lettre demandant à l’abbé de Marseille de lui trouver une place à bord d’un navire en partance pour le sud.
— Vous voir, vous ?
— Je lui ai accordé ses lettres. À l’évidence, l’homme n’est pas – n’était pas – un traître, mais un dévot cherchant à secourir un ami, par charité et amour. Si la moindre part de son âme perdure, craignez pour elle, mais ne la craignez point. »
Cendres cligna rapidement des paupières. Avant qu’elle puisse l’écraser d’un battement de paupière, une goutte brûlante se détacha de son œil pour rouler le long de sa joue. Elle frotta son poignet contre sa figure.
« Le chagrin fait partie de l’honneur d’un soldat », déclara Charles, mal à l’aise, comme si les larmes d’une femme l’émouvaient davantage que ne l’auraient fait celles d’un homme.
« Le chagrin, c’est chiant », rétorqua Cendres, dans un souffle trémulant ; puis, avec ce sourire lumineux qui n’appartenait qu’à elle, elle ajouta : « Pardonnez-moi, Votre Altesse.
— Demandez toute l’aide dont vous pouvez avoir besoin, lui dit le duc.
— Votre Altesse ? »
Le jeune homme aux cheveux noirs en manteau brodé lui sourit enfin. Il n’y avait nulle méchanceté dans ce sourire, rien qu’une évidente bienveillance ; et une joie lasse, comme s’il exposait très clairement les choses, comme si, autrement, elle risquait de ne pas percevoir ce qu’il voulait dire.
« Je n’aurai pas recours à la force. » Ses yeux se dorent, une fraction de seconde, puis il la regarda à nouveau. « Non plus que je vous forcerai en aucune manière à parler à la machina rei militaris. Je vous prie de le faire.
— Merde, répondit Cendres sur un ton misérable.
— Je vous prie de comprendre pourquoi vous entendez la voix d’un mort. Je vous prie de découvrir ce que ces machines par-delà la machina rei militaris vont faire, à présent. Je veux… », Charles l’observa avec des yeux perçants, « … savoir pourquoi vous avez dit que la Faris wisigothe a été créée pour accomplir contre la Bourgogne un grand et noir miracle. Et savoir s’il est vrai qu’elle a le pouvoir d’y parvenir. »
Cendres le regarda sans rien dire. Non, son intelligence n’a pas du tout souffert.
« J’offre toute l’aide dont vous pouvez avoir besoin. Prêtres, docteurs, armuriers, astrologues : quiconque parmi mes gens pourra vous aider, vous l’aurez. Exposez vos exigences, et elles seront satisfaites. »
Cendres ouvrit la bouche pour lui répondre, mais ne trouva aucune réponse à lui faire.
« Et je n’userai pas de dissimulations, poursuivit Charles de Bourgogne. Si vous et vos hommes le souhaitez, je vous recevrai parmi mes capitaines, que vous accomplissiez ceci pour moi ou non. Vous êtes un commandant de bataille que j’aimerais avoir à mon service. »
Réduite au silence, elle ne pouvait que le contempler. Il le pense. J’aimerais croire que non. Il pense ce qu’il dit.
« Faites-le », dit le duc, en retenant le regard de Cendres, avec une assurance totale, sa gêne totalement disparue, pour une fois. « Pour vous-même, pour vos hommes, pour Dijon, pour la Bourgogne. Pour moi.
— J’ai été forcée à revenir ici, répondit Cendres d’une voix égale. Je suis assise en plein cœur d’une cible, et je ne sais pas pourquoi c’est une cible. Votre Altesse, je vais avoir besoin de le savoir. Si ce n’est pas maintenant, ce devra être très bientôt. »
Elle étudia son visage jaune, et les cavités entre l’orbite et l’œil, où la chair de ses paupières s’était enfoncée. Nulle faiblesse ne transparaissait dans l’expression du duc.
« J’ai offert toute l’aide dont vous avez besoin. Parlez à votre prêtre mort. » Il la scruta avec autorité et détermination. « Si le besoin s’en fait sentir…, revenez me voir. Vous saurez tout ce que je peux vous dire. »
Enfin, douloureusement, elle dit : « Donnez-moi du temps.
— Oui. Puisque vous en avez besoin, cela aussi, vous l’aurez. »
Cendres, la transpiration dégoulinant le long de son corps sous son armure, la tête rendue légère par la peur, se mit debout et baissa les yeux vers le duc de Bourgogne.
« Pas du temps pour prendre une décision, dit-elle. Ce serait arrivé de toute façon, ici ou n’importe où ailleurs. Ma décision est prise. Laissez-moi du temps pour le faire. »